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Champions Hockey League : une grande compétition en devenir ?

Posté le 27/02/2020 par Grégory Cossy rubrique Hockey sur glace

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Photo Fanny Schertzer
Alors que les suédois du Frölunda HC viennent de remporter leur quatrième trophée en venant à bout des tchèques de Mountfield HK 3 buts à 1 en finale, c’est l’occasion de tirer le bilan des 6 premières éditions de la compétition et de questionner son évolution. Alors qu’elle se situe encore à des années lumières de son homologue footballistique, est-ce que la Champions Hockey League peut devenir un évènement majeur dans le calendrier des clubs de hockey européens ? Analyse.

L’IIHF n’en est pas à son coup d’essai

L’idée d’une compétition internationale entre clubs de hockey sur glace ne date pas de 2014. Effectivement, en 1965 déjà, l’IIHF lançait une première compétition intitulée IIHF European Cup. Malgré sa relative longévité – la coupe a existé jusqu’en 1997 – on ne peut pas réellement la considérer comme un succès : la différence de niveau entre les différents championnats européens était à l’époque bien plus marquée que de nos jours, ce qui se traduit par les 20 trophées soulevés par le seul CSKA Moscou en 34 éditions. Ajoutons à cela un contexte politique défavorable (les organisateurs étaient parfois contraints d’annuler la finale ou d’en jouer plusieurs car certains clubs soviétiques refusaient de joueur dans certains pays) et on se demande même comment cette compétition a pu survivre aussi longtemps. Entre 1996 et 2000, l’European Hockey League ne rencontrera guère plus de succès et on pourrait alors légitimement penser qu’un tournoi international entre clubs n’est pas un projet compatible avec le hockey sur glace.

Et pourtant, lors de la saison 2008-2009, l’ancêtre de la Champions Hockey League – qui portait déjà ce nom mais dont le format et l’administration n’ont rien de comparable – va être le premier, le seul peut-être jusqu’à ce jour, tournoi international rencontrant un franc succès, tant auprès des clubs engagés qu’auprès du public. L’engouement des clubs peut certainement s’expliquer par l’énormissime « prize money » de la joute : 16.9 millions de francs à répartir entre les 12 équipes participantes, ainsi qu’un bonus d’un million supplémentaire pour le vainqueur. C’est néanmoins probablement ce même prize money qui explique le fait que la Champions Hockey League format 2008-2009 n’aura connu qu’une seule édition, remportée d’ailleurs par les ZSC Lions, car on apprendra par la suite que des conflits entre l’IIHF et les investisseurs auront mené à la non-reconduction de l’évènement.

L’absence d’investisseurs est donc une des raisons qui expliquent l’absence de compétition internationale jusqu’en 2014, mais pas la seule. La création en 2008 de la KHL va isoler les clubs russes du reste de l’Europe, et créer un conflit de prestige avec la NHL qui limite les perspectives de partenariats commerciaux avec la ligue nord-américaine pour l’IIHF. Finalement, en 2014 et principalement sur l’initiative de 6 ligues européennes et de certains de leurs clubs, la Champions Hockey League, dont la 6e édition vient de se terminer en février dernier, est fondée. Est-ce que son évolution va prendre une trajectoire plus favorable que ses prédécesseurs ? Présentons d’abord brièvement le format de cette compétition.

Format de la Champions Hockey League

Alors que la version 2008-2009 de la CHL ne réunissait que 12 équipes qui se partageaient un énorme « prize money » de près de 17 millions, la CHL moderne se déroule sous un tout autre format, qui, comme la plupart de ses prédécesseurs, a été remanié à quelques reprises lors de ses premières éditions. Ainsi, pour la saison 2019-2020, ce ne sont pas moins de 32 équipes provenant de 13 ligues différentes qui se sont défiées au fil de la saison. Du point de vue organisationnel, elle est administrée et financée en grande partie par des clubs fondateurs (63%) ainsi que par les ligues fondatrices (25%), le reste (12%) étant versé par l’IIHF.

Les 24 premières places sont attribuées aux 6 ligues dites « fondatrices » de la compétition, à savoir les premières divisions helvétique, suédoise, finlandaise, allemande, autrichienne et tchèque. En fonction des précédents résultats de leurs clubs dans les dernières éditions de la CHL, les ligues fondatrices enverront entre 3 et 5 équipes dans la compétition (parmi lesquelles le vainqueur des séries finales ainsi que les meilleures équipes de la saison régulière). Ce sont donc 24 équipes sur un total de 32 qui proviennent des ligues fondatrices. À noter que si les ligues fondatrices sont assurées d’envoyer au moins 3 de leurs équipes dans la compétition, les clubs fondateurs ne bénéficient d’aucun privilège et ne sont absolument pas assurés de participer au tournoi.

Les huit places restantes sont distribuées aux champions des autres ligues européennes participantes, appelées Challenger Leagues, c’est-à-dire les premières divisions française, danoise, biélorusse, britannique, norvégienne, slovaque, polonaise ainsi qu’au champion de l’IIHF Continental Cup, coupe qui réunit des équipes d’autres pays européens non représentés dans la CHL.

Une fois les 32 équipes sélectionnées, elles sont réparties au sein de huit groupes de quatre équipes qui s’affrontent dans des confrontations aller-retour. À l’issue de cette phase de poule, les deux meilleures équipes de chaque groupe sont envoyées en huitième de finales et la compétition se déroule dès lors sous le format classique : quarts, demies, puis une finale qui se joue sur un match unique.

Une compétition qui peine à convaincre les publics européens

Lorsque l’on compare les affluences moyennes des patinoires lors des matchs de la CHL avec les affluences moyennes lors de la saison régulière pour les 32 clubs engagés cette saison, le constat est sans appel : exception faite de deux clubs – Yunost Minsk (Biélorussie) et GKS Tychy (Pologne) – tous les clubs enregistrent une affluence moyenne inférieure à celle observée en saison régulière. Et ce ne sont pas les clubs suisses qui vont inverser la tendance : Ambri (19e), Zoug (20e) et Bienne (26e) sont les « mieux » placés, alors que ce sont Berne (31e) et Lausanne (32e) qui clôturent ce classement peu réjouissant pour la compétition. Comment expliquer le désintérêt d’une grande partie du public européen pour cette Champions Hockey League ?

En premier lieu, les matchs de la CHL ne sont généralement pas compris dans les abonnements des clubs, ce qui engendre des coûts supplémentaires pour les fans (bien que les prix puissent être très bas, comme ce fut le cas pour le Lausanne Hockey Club qui vendait des places assises à 20 francs pour les quarts de finale par exemple). De plus, tous les matchs de la compétition ont lieu en pleine semaine, généralement le mardi ou le mercredi soir, là où l’affluence n’est pas la plus haute même lors des rencontres de saison régulière. Il semble néanmoins impensable de programmer les matchs de CHL le weekend pour le moment, tant le manque à gagner à programmer un match de CHL en lieu et place d’un match de championnat serait énorme pour la plupart des clubs. Il faut également considérer le fait qu’on ne peut suivre cette compétition « qu’à moitié », tant il est compliqué et cher de soutenir son club à l’extérieur quand les matchs ont lieu en pleine semaine dans un pays étranger.

Mais au-delà de ces aspects « logistiques », il y a d’autres points qui permettent d’expliquer les faibles affluences. En effet, pour qu’une compétition internationale soit un succès populaire et suscite l’intérêt, il est impératif qu’elle soit crédible et divertissante. En d’autres termes, personne ne va se déplacer ou dépenser de l’argent pour voir jouer les « équipes B » ou pour voir l’équipe-type jouer sur un patin et demi. Il est donc vital, pour qu’un tournoi soit crédible et qu’il intéresse les supporters, que les équipes y participant le prennent au sérieux et qu’elles soient les meilleures équipes du continent. Or, la CHL est à ce propos encore loin du compte : l’absence des équipes de KHL, considérée comme la deuxième meilleure ligue du monde et la meilleure ligue européenne, est une tache considérable dans le palmarès de la CHL. Comment proclamer de manière crédible un club « champion d’Europe » en l’absence des équipes de KHL ? Il serait impensable, en football, d’avoir une Champions League crédible sans que les clubs de la Premier League y prennent part. Et pourtant, c’est à peu de choses près à quoi ressemble cette CHL en l’absence des équipes russes.

Il faut néanmoins souligner que les publics européens sont très hétérogènes. Le public suisse semble particulièrement peu ouvert à la CHL, tout comme les autres supporters des ligues les plus développées (Suède, Finlande, République Tchèque, etc.). En revanche, pour les fans des équipes qui proviennent des ligues dites « challengers », les affluences ne sont pas mauvaises, voire excellentes dans certains cas (le Yunost Minsk accueille plus du double de supporters en CHL que lors des matchs de championnats par exemple), ce qui démontre que se confronter à meilleur que soi est essentiel pour que l’intérêt des supporters soit éveillé. On peut donc considérer qu’il existe une forme de « snobisme » chez les supporters dont les championnats sont les plus réputés, ce qui les pousse à accorder plus de crédit aux matchs de saison régulière qu’à des affiches internationales parfois tout-à-fait alléchantes.

Pas la priorité des clubs

Mais les supporters ne sont pas les seuls à placer leur priorité sur le championnat national. Loin de là. En réalité, ce sont surtout les clubs qui font de leurs championnats respectifs la priorité de leur saison, ce qui conduit à faire jouer des joueurs qui sont d’habitude moins ou pas utilisés et à mettre au repos les éléments centraux de l’équipe. Si même les clubs mettent la CHL au second plan dans leurs objectifs, comment attendre des supporters qu’ils se déplacent en nombre pour soutenir leur équipe dans une compétition que leur club ne prend finalement pas au sérieux ? On comprend donc ici que développer un tournoi international peut s’avérer être un cercle vicieux : le public a besoin que le club prenne la compétition au sérieux, et le club ne peut pas vraiment se projeter dans une compétition qui n’attire parfois qu’à peine plus que le tiers des supporters présents généralement en saison régulière. Mais quels sont les facteurs qui font qu’une compétition internationale devienne une priorité pour un club sportif ? Pourquoi la ligue des champions joue-t-elle un rôle central pour les plus grands clubs de football européens alors que la Champions Hockey League ressemble davantage à une exhibition où l’on « ne veut surtout pas risquer de se blesser » ?

Tout d’abord, on oublie parfois facilement que les clubs sont des entreprises qui agissent selon des considérations financières. Et les perspectives économiques offertes par la CHL ne sont pas vraiment enthousiasmantes. En réalité, selon certains directeurs sportifs, la compétition pourrait même coûter plus qu’elle ne rapporte. En effet, les patinoires ne sont pas remplies, les déplacements à l’étranger sont coûteux alors que le prize money offert par le tournoi ne font pas rêver, du moins pas les clubs des grands championnats européens.

Alors que le championnat national est, quant à lui, l’activité lucrative principale des clubs. Il remplit les patinoires, il déchaine les foules et il est donc logiquement l’objectif numéro un des clubs. Ainsi, par une comparaison entre les intérêts à jouer « à fond » la CHL et les risques que cela implique (blessures, fatigue) sur le bon déroulement de sa saison en championnat, on comprend aisément que les clubs choisissent de ne pas accorder trop d’importance à cette compétition.

Quelles perspectives d’avenir ?

De quoi la CHL a-t-elle besoin pour qu’elle puisse se faire une place de choix dans les objectifs des clubs ainsi que dans l’esprit des supporters ? Tout d’abord, il faudra que les deux éléments soient réunis en même temps, car les clubs ne s’y investiront pas pleinement sans un engouement populaire et médiatique tandis que les fans ne prendront pas le tournoi au sérieux tant que les clubs n’y participeront pas avec l’objectif affiché de remporter la coupe.

Pour les supporters, hormis la nécessité que les clubs participent sérieusement à la compétition, l’arrivée des équipes de KHL dans la compétition pourrait se révéler fort intéressante et donnerait une crédibilité qui manque cruellement à la CHL pour le moment. Si les dirigeants de la CHL ont manifesté à de nombreuses reprises leur intérêt à voir les meilleures équipes de KHL rejoindre la compétition, l’intérêt est loin d’être réciproque. Le prize money, qui est déjà bas pour les clubs des championnats européens, représente « peanuts » pour des clubs de KHL qui dépensent, pour certains, près de 10x le prize money de la CHL dans le salaire de leurs joueurs. De plus, les calendriers ne collent pas et les équipes de KHL, qui voyagent et jouent déjà beaucoup, ne sont pas prêtes à charger davantage leurs calendriers. En bref, la CHL a beaucoup plus besoin de la KHL que l’inverse, alors nous ne sommes pas près d’avoir une finale de CHL opposant le CSKA Moscou au Frölunda HC de sitôt.

Un moyen de stimuler l’intérêt des clubs serait évidemment d’améliorer les perspectives économiques d’une participation à la compétition. Or, celles-ci reposent essentiellement sur deux piliers : le prize money (qui dépend en grande partie des droits TV et des investisseurs) et les billetteries, qui sont tous deux peu attractifs actuellement. Néanmoins, il est prévu que le prize money augmente chaque année, pour finalement atteindre 3.4 millions d’euros pour la saison 2022-2023, soit une fois et demi ce qui a été distribué cette année. Sera-ce suffisant pour stimuler l’intérêt des clubs ? Il faut l’espérer, car c’est l’intérêt des clubs qui va probablement déclencher l’intérêt des supporters plutôt que l’inverse, puisqu’il est très peu probable de voir une formule « sportivement » plus attractive pour les supporters (peu de chances que la KHL se joigne au projet).

Enfin, il faudra assurément de la persévérance pour les organisateurs de la Champions Hockey League s’ils veulent que leur compétition devienne un incontournable des saisons de hockey sur glace européennes. En guise de conclusion optimiste, précisons quand même que l’affluence moyenne des matchs de CHL est en constante évolution depuis sa première édition en 2014. Il y a donc des raisons de croire – pour les plus optimistes des supporters – qu’un jour, le hockey sur glace aura sa ligue des champions et une concurrence entre clubs qui ira au-delà des frontières imposées par les championnats nationaux, bien que ces dernières semblent aujourd’hui bien infranchissables.

Grégory Cossy

Etudiant en Relations Internationales à l'Université de Genève (SUI)

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