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Dépolitiser le sport : une utopie ?

Posté le 09/04/2020 par Geoffroy Brändlin rubrique Divers

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Le 16 octobre 1968, Tommie Smith et John Carlos reçoivent leurs médailles d’or et de bronze du 200 m masculin des Jeux olympiques de Mexico. Ils protestent, avec l’aide de l’Australien Peter Norman, deuxième de la compétition, en levant le poing au ciel et en baissant la tête, contre la ségrégation raciale en Amérique. Sous la pression du président du C.I.O Avery Brundage, sympathisant de l’extrême droite, ils sont écartés tous les trois des Jeux olympiques. Le C.I.O et de nombreuses associations sportives promeuvent un sport dépolitisé, un îlot de paix où seuls les corps et les esprits s’affrontent : une utopie !
Tommie Smith, Peter Norman et John Carlos lors de la remise des médailles des J.O de Mexico 1968 - Photo via Ur Cameras (Flickr)

L’opposition de nations : la course aux médailles

Opposer des nations sous le symbole de leur drapeau est, en soi, politiser le sport. La course des médailles entre l’URSS, l’Allemagne de l’Est et les Etats-Unis illustre ce phénomène. Battre l’autre nation c’est montrer sa supériorité physique et mentale devant le monde. Les Jeux olympiques de Berlin en 1936 étaient l’occasion pour le régime nazi de mettre sportivement les autres nations et même les autres ethnies à ses pieds, voulant prouver la prétendue supériorité de la « race aryenne ». La course aux médailles a notamment eu comme conséquence la tricherie nationale à grande échelle par le dopage, utilisée par l’URSS, les Etats-Unis et la DDR pendant la Guerre froide : de nombreux records datant de cette époque n’ont toujours pas été battus. La transformation physique et le décès précoce de l’actuelle recordwoman du monde du 100 m et du 200 m Florence Griffith-Joyner conforte les doutes impliquant de nombreux athlètes de ces pays-là dans les années 1970 et 1980.

Accueillir les compétitions : enjeu économique et patriotique

Lors des Jeux Olympiques, chaque pays organisateur tient à montrer sa force du point de vue athlétique, mais aussi économique et politique. Les monuments sont exhibés et la pauvreté cachée, parfois même par la violence, par exemple aux Jeux de Mexico en 1968 et à ceux de Rio en 2016. Des quartiers sont « rasés » pour accueillir les infrastructures sportives. Séoul, Pékin, Rio : le but de ces villes était de s’internationaliser, de s’élever économiquement. Les jeux sud-coréens de 1988 appelés aussi « Jeux Adidas » ont permis l’expansion non négligeable de la marque en Asie, après des négociations et des partenariats entre des entreprises contrôlées par des dirigeants d’Adidas et les institutions sportives internationales.

Les stars : un soft-power non négligeable

Qu’est-ce qu’une star du sport ? La définition peut varier, mais être au sommet de son sport rapporte depuis déjà quelques décennies une fortune. Actuellement, la fortune de Michael Jordan dépasserait le milliard et une dizaine de sportifs parmi lesquels nous retrouvons Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Roger Federer et Floyd Mayweather posséderaient plus de 400 millions de dollars. Le pouvoir politique est intimement lié au pouvoir économique : les sommes de la campagne présidentielle qui atteignent des records confirment ma thèse – selon le journal Le Temps Donald Trump a bénéficié de 463 millions de dollars pour sa campagne en 2019. Revenons à nos moutons ! Certains sportifs deviennent des forces économiques, impliqués dans des partenariats avec des marques, et impliqués même dans les décisions de leurs équipes ou de leur fédération. Ils possèdent aussi une aura médiatique et une fan base conséquente. LeBron James, très écouté par David Stern et la NBA, a participé au financement des campagnes de Barack Obama et d’Hillary Clinton, puis a débattu virulemment contre Donald Trump sur Twitter au sujet de ses décisions xénophobes et de son manque d’implication dans la lutte contre l’extrême droite et les appels à la haine. Le Miami Heat critiquait ouvertement en 2012 les violences policières en revêtant un hoodie en mémoire de Trayvon Martin : une action encouragée par Adam SIlver, le président de la NBA.

Toutefois, tous les sportifs ou ligues sportives ne s’impliquent pas en politique ou en société. Chez les premiers, nous retrouvons notamment Michael Jordan et Roger Federer, qui se tiennent souvent à l’écart de ces débats. Certaines ligues sont aussi très conservatrices, à l’image de la NFL, qui a mis Colin Kaepernick définitivement sur la touche après que celui-ci se fut agenouillé pendant l’hymne national américain pour protester contre les violences policières et le racisme aux Etats-Unis. Il est important de souligner à nouveau que les dirigeants des ligues ont souvent des affiliations politiques personnelles et des devoirs envers de grandes marques ou des particuliers économiquement puissants indispensables aux bénéfices qu’ils engendrent.

Le soft power des stars n’est pas « LE pouvoir » mais il n’est pas négligeable. Existant dans les autres domaines du show biz comme le cinéma ou la musique, il n’est pas propre uniquement au monde du sport.

Isoler le sport de la société : une mission impossible !

Les sportifs, les ligues et le monde du sport font partie de la société. Celle-ci est dirigée par des pouvoirs politiques et économiques. Isoler le sport de la politique et de l’économie serait impossible. Les sportifs ont leurs propres idées sur le fonctionnement de leur pays, les pays veulent voir leurs athlètes porter leur drapeau et les « puissants » lèvent des fonds pour le développement du sport, en attendant en contrepartie des intérêts et des privilèges.

Geoffroy Brändlin

Etudiant en Lettres à l'Université de Lausanne (SUI) et coureur de fond et demi-fond

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