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L’atavisme tennistique : l’inédit gouffre générationnel qui marque le tennis

Posté le 20/10/2018 par Grégory Cossy rubrique Tennis

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La nouvelle génération grimace face à l'ancienne - Photo Christopher Johnson/Carine 06/ Globalelite/ Tigre Municipo

En sciences, on parle d’atavisme lorsqu’un caractère génétique réapparait après avoir disparu pendant une ou plusieurs générations. Bien que le « caractère » en question reste à définir, le tennis du 21e siècle est manifestement sujet à un saut de génération. Quelles en sont les raisons ? Est-ce la jeune génération qui présente un jeu insuffisant ou plutôt la génération du « Big Four » qui joue à un niveau exceptionnel en dépit de leur âge avancé ? Eléments de réponse.

Un phénomène inédit dans le tennis moderne

« Djokovic vient tout juste de remporter son deuxième Grand Chelem consécutif de l’année, ici, à Flushing Meadows, après avoir triomphé sur le gazon de Wimbledon quelques semaines plus tôt. La tournée sur terre battue, quant à elle, a été dominée par le maitre en la matière : Rafael Nadal. » Voilà à quoi risquent de ressembler les résumés de la saison 2018 de l’ATP. Un air de déjà-vu ? Le son de cloche était exactement le même fin 2011, année survolée par Djokovic et ses victoires à Melbourne, Wimbledon et New York. L’omniprésence et la longévité des « seniors » est un phénomène réjouissant pour certains, inquiétant pour d’autres, mais avant tout inédit dans l’histoire du tennis moderne. En effet, dans l’histoire de l’ère open, jamais une génération n’avait régné si longtemps sur le tennis que celle du « Big Four » (Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic et Andy Murray). Depuis Wimbledon 2003, premier titre en Grand Chelem pour le « Maestro », jusqu’au récent sacre de Djokovic à l’US Open 2018, cela fait 16 saisons que Federer, le « Djoker » et Rafael Nadal se passent le témoin, et de quelle manière ! Sur les 64 tournois du Grand Chelem ayant eu lieu durant ces 16 dernières années, 51, soit près de 80%, ont été remportés par ces trois colosses du tennis moderne. Sur les 13 tournois restants, 3 reviennent à Andy Murray, le dernier membre du quatuor. Ce simple calcul résume à lui seul la main mise qu’ont ces génies sur notre sport. À titre de comparaison, le trio Borg-Connors-McEnroe, qui a dominé le tennis durant une décennie (1974-1984), a remporté « seulement » 26 des 44 tournois du Grand Chelem ayant eu lieu durant ces 11 saisons, ce qui représente un total avoisinant les 60%. Quant aux légendes des années 90, ère dominée par les américains Agassi, Courier et Sampras, ils ont soulevé 25 des 48 trophées remis lors des saisons 1992-2003, soit 52%. Les statistiques du « Big Four » parlent donc d’elles-mêmes, le tennis traverse une période unique en son genre.

Génération 90 : une déception

Si l’on dresse un tableau chronologique des grands champions de notre sport, une tendance se distingue rapidement : les joueurs excellent sur le circuit à partir de l’âge de 20 ans. Ainsi, les stars des années 1974 à 1984, comme l’argentin Vilas, l’américain Connors, le prodige suédois Borg ou le colérique John McEnroe, sont toutes nés dans les années 50. Ivan Lendl, Mats Wilander, Stefan Edberg et Boris Becker ont survolé le tennis de la deuxième moitié des années 1980 jusqu’au début des années 1990. Tous sont nés dans les « sixties ». Suivant toujours le même schéma, les stars de la fin du 20e siècle sont toutes nées dans les années 70 et les membres du « Big Four » dans les années 1980. Or, la règle n’est plus respectée depuis. En effet, nous sommes en 2018, la génération 1990 aurait dû ne serait-ce qu’émerger il y a au moins 5 ans et pourtant rien ne semble pouvoir atteindre le quatuor de tête, si ce n’est les blessures. Des joueurs tels que David Goffin (1990), Milos Raonic (1990), Dominic Thiem (1991) ou encore Grigor Dimitrov sont les plus vieux représentants d’une malheureuse génération 1990 qui décidemment n’y arrive pas face au trident Federer-Djokovic-Nadal, en témoignent leurs résultats en confrontation directe. Le belge n’a battu qu’une fois chacun des trois seniors, en 18 rencontres. Bilan à peine plus encourageant pour l’espoir du tennis autrichien, qui est sorti gagnant 7 fois en 21 matchs, avec cependant un avantage de 2 victoires pour une seule défaite contre Roger Federer ! Pour Raonic (5 victoires contre 27 défaites) et Dimitrov (2 victoires contre 26 défaites), le constat est sans appel : les vieux sont trop forts. Ces statistiques ne poussent pas à l’optimisme, surtout que plus l’écart se creuse, plus la confiance diminue. Comment expliquer, dès lors, cette différence colossale entre les vieux qui paraissent jeunes et les jeunes qui paraissent vieux ? Un mental peu solide, un manque d’efforts à l’entraînement, un physique loin d’être à toute épreuve ou encore la pression médiatique qui croît de jour en jour sont des éléments de réponses, qui peuvent expliquer les performances en dents-de-scie des ces joueurs qui sont pourtant capables, dans un grand jour, de sortir leur meilleur jeu contre les ténors et de créer la surprise. Seulement, aucun d’entres eux n’a su se maintenir suffisamment longtemps au top de sa forme pour espérer être le premier joueur né dans les années 1990 à soulever un Grand Chelem.

Des trentenaires increvables

On en vient donc logiquement à se demander quel est le secret de la génération 80, qui semble vivre une deuxième jeunesse depuis que ses principales stars sont revenues de blessures entre 2017 et 2018. Ces blessures justement, parlons-en. La saison 2016 a été marquée par l’abandon de Roger Federer à la veille des Jeux Olympiques de Rio. Les spéculations quant à une éventuelle fin de sa carrière se multiplient, car il est vrai que le début de la saison avait été compliqué pour le « Maestro » (Forfait à Roland-Garros, blessé au genou après l’Open d’Australie). Néanmoins, motivé par l’envie de passer encore quelques belles années sur le circuit, Federer a su tirer profit de cette « pause » forcée loin des courts pour remanier son jeu en le rendant moins éprouvant pour son physique. Souvent collé à sa ligne de fond de court, n’hésitant pas à prendre des demi-volées plutôt que de reculer, s’économisant ainsi des précieux déplacements, le « nouveau » Federer impressionne par l’efficacité de son jeu poussé sur l’offensive. C’est justement ses nombreuses modifications dans son style de jeu qui permettent au Bâlois d’être au top niveau à 37 ans. Loin d’être épargné par les blessures lui aussi, Rafael Nadal a cependant toujours su revenir plus fort. Contraint de mettre un terme à sa saison 2016 prématurément, en octobre, les rumeurs quant à son éventuel déclin ont, à l’instar de son meilleur ennemi suisse, fleuri de toute part. C’était sans compter sur l’incroyable mental du Majorquain. Dès l’entame de la saison 2017, les deux « retraités », qu’on annonçait en fin de carrière quelques semaines plus tôt, se retrouvent pour une finale historique à Melbourne, remportée au bout du suspense par Federer. Rien ne viendra arrêter la bête espagnole durant la saison sur terre battue, Nadal, après avoir remporté Monte-Carlo, Madrid et Barcelone, soulève son 10e Roland-Garros et prouve, s’il le fallait encore, qu’il est le meilleur joueur de tous les temps sur cette surface. Nadal paraît plus puissant que jamais, malgré ses blessures. Néanmoins, son jeu extrêmement exigeant physiquement entraine logiquement des baisses de régime, comme lors de l’édition 2018 de l’US Open où il est contraint à l’abandon par des douleurs intenses. Djokovic, lui aussi écarté du circuit par une blessure depuis 2017, a su revenir au top niveau en survolant la deuxième moitié de la saison 2018 (doublé Wimbledon et US Open). Les points forts de cette génération, qui sont également les principaux points faibles de la jeune génération, sont sans conteste le mental et la qualité du travail fourni hors du court, ceci couplé à une impressionnante faculté à s’adapter aux nouvelles exigences que leur corps de trentenaires leur impose. Car s’ils savent se surpasser, ils savent également ménager leurs efforts en allégeant leur calendrier (Federer ne joue plus la saison sur terre battue, Nadal s’épargne celle sur gazon).

Les espoirs de demain

Les plus vieux joueurs de la génération 90 sont dorénavant plus proches de la trentaine que de la vingtaine et semblent avoir manqué le coche. Cependant, certains jeunes joueurs, nés dans la deuxième partie de la décennie semblent être plus à même que leurs ainés de décrocher le premier Grand Chelem de leur génération. Parmi eux, L’australien de 23 ans Nick Kyrgios. On le surnomme le « bad boy » du tennis et il a déjà démontré à plusieurs reprises qu’il pouvait tenir tête aux icônes du « Big Four » (5 victoires en 11 rencontres). Il lui manque tout de même de la constance et son mental lui fait trop souvent défaut, laissant place à l’agacement et la déconcentration. Quand il réussit à se canaliser, il fait néanmoins partie des sérieux outsiders en Grand Chelem. Prometteur espoir du tennis russe, pays qui attend toujours sa nouvelle star depuis 2005 et le dernier titre en Grand Chelem de Marat Safin, Karen Khachanov est lui aussi sur la liste des joueurs à surveiller (22 ans). Solide joueur de fond de court, doté d’un service dangereux et d’un remarquable coup droit, il lui manque cependant un peu de conviction et de constance pour réussir à débloquer son compteur contre les grands joueurs (aucune victoire contre Federer, Nadal et Djokovic en 7 rencontres) et, pourquoi pas, réussir l’exploit de se hisser sur la plus haute marche d’un podium de Grand Chelem. Vainqueur de son premier ATP 500 à Halle et tombeur de Roger Federer en finale, le jeune croate de 21 ans Borna Coric pourrait bien un jour devenir le troisième joueur croate à remporter un Grand Chelem, après Marin Čilić (US Open 2014) et Goran Ivanišević (Wimbledon 2001). Effectivement, ses résultats contre les meilleurs ouvrent à un certain optimisme, le joueur ayant un bilan équilibré contre Rafaël Nadal et Roger Federer (2 victoires-2 défaites contre chacun). Enfin, il serait difficile, voir impossible, de parler des espoirs de demain sans se pencher sur le cas le plus prometteur : Alexander Zverev. Le jeune allemand de 21 ans possède un jeu complet, avec un excellent service et un revers diablement efficace. Du reste, une fois n’est pas coutume, il lui manque un peu d’expérience et de mental par moments pour pouvoir être le premier de sa génération à soulever un trophée lors d’un tournoi du Grand Chelem. Mais ses résultats sont d’ores et déjà encourageants, avec 2 victoires en 5 matchs contre Federer ainsi que qu’une victoire dans sa seule rencontre avec Djokovic. Cependant, son premier Grand Chelem ne sera surement pas Roland-Garros, du moins tant que Rafael Nadal sera sur le circuit (5 défaites pour autant de rencontres).

Lequel de ces joueurs d’avenir sera le premier de sa génération à remporter un Grand Chelem et mettra finalement fin au calvaire de la génération 1990 ? Aujourd’hui, le mieux armé semble être Zverev, avec déjà 9 titres sur le circuit ATP dont 3 Masters 1000 (Rome 2017, Madrid 2018 et l’Open du Canada 2017) et un meilleur classement de 3e mondial obtenu durant la saison 2017. Néanmoins, l’exploit pourrait tout aussi bien provenir des autres joueurs présentés, voir même d’un « ancien » de la génération comme Thiem, Dimitrov ou encore Raonic. Vous l’aurez compris, notre sport traverse une période aussi historique que passionnante, avec une génération increvable qui domine le circuit depuis bientôt 15 ans et une nouvelle génération dont les complexes vont grandissant au fur et à mesure que les échecs s’accumulent. Le tennis du 21e siècle vit un saut générationnel assez atypique dans le monde du sport et seul l’avenir nous dira quand cette situation prendra fin.

Grégory Cossy

Etudiant en Relations Internationales à l'Université de Genève (SUI)

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