Le 11 janvier dernier, lors d’une émouvante conférence de presse donnée en marge de l’Open d’Australie, Andy Murray annonçait son retrait de la compétition pour 2019. Assurant qu’il voudrait terminer sa carrière à la maison, sur le gazon londonien, il relativise dans la foulée en affirmant « ne pas être certain de pouvoir y arriver ». Avec cette annonce, qui fait l’effet d’un séisme dans le monde du sport, ce n’est pas seulement la carrière d’un grand champion qui se clôt, c’est tout un mythe du tennis moderne qui prend fin par la même occasion : celui du « Big Four ». L’occasion de revenir sur la carrière riche en rebondissements de l’écossais ainsi que de discuter la validité de l’expression « Big Four ».
La longue évolution du talent pur au champion reconnu
8, c’est le nombre d’années qui séparent le premier titre en Grand Chelem d’Andy Murray, l’US Open 2012, de son premier – et seul – titre en junior : l’US Open 2004. Les débuts de l’écossais sur le circuit « des grands » sont plutôt dignes d’éloges : passé pro en avril 2005, il entre dans le top 10 après seulement deux ans de compétition professionnelle, Andy Murray est alors âgé de 19 ans. Des éloges, justement, il en recevra rapidement, dans les colonnes du média britannique
The Guardian, en juin 2005 déjà. L’article en question, un des premiers à parler d’Andy Murray, est écrit par la légende du tennis féminin Martina Navratilova qui prend le pari que le jeune espoir du tennis britannique entrera dans le top 50 avant l’US Open 2005. Bien que le pari en question fût perdu – Murray termine l’année à la 64e place – nul doute qu’elle avait raison en misant gros sur le talentueux espoir du tennis britannique qui ne cessera de progresser dans le classement jusqu’à en intégrer le top 10 en juin 2007.
Néanmoins, malgré ce départ en trombe, le jeune Andy Murray peine à franchir le cap qui ferait de lui un véritable champion : une victoire en Grand Chelem. Une intéressante comparaison est possible avec un autre champion du tennis, en la personne du serbe Novak Djokovic. En effet, les deux stars sont nées à une semaine d’intervalle, Murray étant de 7 jours l’ainé de Djokovic. Ils ont donc évolué tous les deux durant la même période, une période archi-dominée par le duo Federer-Nadal. Comment expliquer, dès lors, que lorsqu’Andy Murray remporte son premier Grand Chelem à 25 ans – l’US Open 2012 -, Djokovic compte quant à lui déjà 5 titres en Grand Chelem ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas rare qu’à ses débuts sur le circuit Andy Murray parvienne à battre Roger Federer. Ça l’est en revanche un peu plus quand il s’agit de Rafael Nadal. Toujours est-il que là où l’écossais a quasi-systématiquement pêché face à ses deux ainés, c’est en Grand Chelem. Dans la totalité des rencontres qui ont opposé Andy Murray à Roger Federer ou à Rafael Nadal lors d’un tournoi du Grand Chelem avant l’US Open 2012, soit un total de 11 rencontres, seules 2 ont tourné en faveur du britannique (19%). Alors que durant le même laps de temps, sur les 34 confrontations toutes compétitions confondues entre Murray et Federer/Nadal, 15 sont revenues à l’écossais (44%). Ces deux statistiques traduisent donc un manque de régularité et de confiance en soi en Grand Chelem chez le britannique et elles fournissent une partie de l’explication du pourquoi Murray a eu besoin d’autant de temps pour soulever sa première coupe en Grand Chelem. On peut également compléter cette rapide analyse avec un autre constat : Murray a perdu ses 4 premières finales en Grand Chelem.
La consécration : une magnifique saison 2012
La patience de Murray finira par payer, lors de la saison 2012 et ce malgré une première moitié de saison rageante. Murray entame la tournée australienne de janvier par une victoire dans l’ATP 250 de Brisbane. À Melbourne, lors de l’Open d’Australie, l’écossais élimine en quarts le japonais Kei Nishikori avant d’échouer contre Novak Djokovic en demies, alors qu’il menait 2 sets à 1. En février, Murray échoue en finale du tournoi de Dubaï contre Roger Federer, avant de s’incliner également en finale du Masters 1000 de Miami contre Novak Djokovic. Les choses ne s’amélioreront pas sur terre battue, Murray est éliminé en quarts à Roland Garros. Sur son gazon londonien, l’écossais a l’espoir de remporter son premier titre en Grand Chelem devant son public. Il atteint la finale après avoir pris sa revanche sur l’espagnol David Ferrer en quarts (qui l’avait bouté hors de Roland Garros quelques semaines plus tôt) puis élimine le français Tsonga en demies. La finale l’oppose à Roger Federer, grandissime favori du tournoi. Murray doit s’avouer vaincu en 4 sets après avoir pourtant remporté la première manche. À ce stade de la saison, on pouvait légitimement penser que Murray était frappé par une malédiction en Grand Chelem.
Néanmoins, le monde du tennis reprend rendez-vous avec le gazon de Wimbledon, les Jeux Olympiques de 2012 ayant lieu à Londres. L’affiche de la finale est la même qu’un mois auparavant, Roger Federer contre Andy Murray. Le bâlois est logiquement favori, puisqu’il vient de remporter le 8e Wimbledon de sa carrière contre le même adversaire. Seulement, cette fois-ci, Murray ne laisse pas passer sa chance devant son public et remporte le match en 3 petits sets. La belle histoire va continuer pour l’écossais, qui va remporter l’US Open un mois plus tard après une finale épique de près de 5h contre Djokovic. C’est la consécration pour l’écossais, qui terminera l’année à la 3e place mondiale après avoir obtenu l’or olympique devant son public et soulevé son premier trophée en Grand Chelem, le tout en quelques semaines.
Confirmation à Wimbledon 2013, puis nouvelle période compliquée
La saison 2013 de l’écossais commence comme la précédente : victoire à l’Open de Brisbane puis défaite contre Djokovic à l’Open d’Australie – en finale cette fois-ci. Lors de la tournée américaine, il sort prématurément du tournoi d’Indian Wells, mais remporte le Masters 1000 de Miami dans la foulée. Décevant lors des tournois de préparation sur terre battue, il décide de ne pas participer aux Internationaux de France, pour éviter de se blesser et de manquer la tournée sur gazon.
Attendu au tournant par son public à Wimbledon, désireux de voir enfin un britannique remporter le tournoi depuis le début de l’ère Open, Murray fait indéniablement partie des favoris, grâce à sa victoire aux Jeux Olympiques l’année précédente, à sa finale en 2012, mais également car il remporte le tournoi du Queen’s quelques semaines avant le début de Wimbledon. Il atteint la finale, non sans rencontrer quelques difficultés, qui l’oppose à Djokovic. Contrairement aux attentes, cette finale n’aura rien d’un long combat à couteaux tirés : Murray s’impose sans trop de peine en 3 sets et en 3h. Il remporte ainsi son 2e titre en Grand Chelem, pour la plus grande joie du public britannique.
La fin de saison est plus compliquée pour l’écossais. La seconde tournée américaine (Masters du Canada et Cincinnati) se déroule mal, et Murray, tenant du titre, est sèchement sorti en 8e de finale de l’US Open par Stan Wawrinka. À la suite du tournoi, le britannique annonce son forfait pour le Masters car il va subir une opération au dos pour soigner une douleur qu’il avoue traîner depuis quelques temps.
La saison 2014 sera peut-être retenue comme la plus décevante de la carrière du britannique. Eliminé en quarts de finale de l’Open d’Australie par Roger Federer, il perd également son titre au Masters 1000 de Miami, face à Djokovic qui le sort en quarts de finale. La saison sur terre battue ne se déroule pas trop mal, pour un Murray qui n’a aucun point à défendre à Roland-Garros puisqu’ayant déclaré forfait en 2013. Il se hisse en demies, et se fait totalement dominer (6-3, 6-2, 6-1) par un Nadal déterminé à remporter son 9e titre aux Internationaux de France. La tournée sur gazon se déroule très mal pour l’écossais, qui sort prématurément du tournoi du Queen’s, ainsi que de Wimbledon : Murray perd son titre chez lui, la faute à Grigor Dimitrov qui le sort en quarts de finale de Wimbledon. La fin de saison continue sur la même vague négative : défaite en quarts face à Djokovic à l’US Open, et une élimination en phase de poule au Masters. Murray termine sa – plus – décevante saison à la 6e place.
En 2015, Murray doit prouver qu’il appartient bien à la crème du tennis du 21e siècle, et revenir dans le top-4. Il se hisse en finale de l’Open d’Australie, dans laquelle il est opposé à Novak Djokovic. Les années se suivent et se ressemblent pour Murray à Melbourne, il perd en 4 sets face au serbe. Plus tard, après avoir remporté son premier Masters 1000 (Madrid) sur terre battue, il se hisse facilement jusqu’en demie à Roland Garros. Il est alors invaincu cette saison sur terre battue (15 victoires de rang), et semble en passe de remporter son 3e titre du Grand Chelem. C’est sans compter sur Djokovic qui bat l’écossais au terme d’un match compliqué en 5 sets. La saison sur gazon va beaucoup ressembler à celle sur terre battue pour Andy Murray, qui remporte le tournoi de préparation du Queen’s, atteint les demies de Wimbledon, avant d’échouer face à Roger Federer. La tournée américaine commence par une victoire à l’Open du Canada suivie par une défaite en demie à Cincinnati. Ces deux bons résultats en Masters 1000 le placent comme un des favoris pour l’US Open. Il perd cependant, à la surprise générale, en huitièmes de finale face à Kevin Anderson. Il décevra également lors du Masters, éliminé encore une fois en phases de poule. Ses nombreux bons résultats hors Grand Chelem lui permettent tout de même de clôturer sa saison à la 2e place mondiale. À noter une belle victoire avec l’équipe de Grande Bretagne en Coupe Davis, la première pour les britanniques depuis 79 ans.
Saison 2016 : Andy Murray au sommet du tennis mondial
La saison 2016 d’Andy Murray mérite tous les superlatifs. Et ce malgré une quatrième défaite en finale de l’Open d’Australie face à Djokovic – la 5e finale perdue au total dans ce tournoi. Plus tard dans la saison, il atteint également la finale à Roland Garros, finale dans laquelle il s’incline face à … Novak Djokovic. Il gagne néanmoins le Masters 1000 de Rome avant les internationaux de France. La tournée sur gazon se déroule à merveille pour l’écossais, qui remporte le tournoi de préparation du Queen’s, et enchaîne dans son fief de Wimbledon, remportant ainsi son 3e Grand Chelem, le 2e devant son public. Aux Jeux Olympiques de Rio, l’écossais réitère l’exploit de 2012, profitant probablement de l’absence de Roger Federer ainsi que d’un parcours extraordinaire réalisé par l’argentin Juan Martin Del Potro – tombeur de Nadal et de Djokovic – en glanant sa deuxième médaille d’or olympique en simple. En finale, Murray met fin à l’exceptionnel parcours de l’argentin, épuisé par son parcours jusqu’ici, après quatre heures de lutte acharnée. L’écossais est donc double médaillé d’or olympique en simple ; un record dont il peut se vanter d’être l’unique détenteur à ce jour.
Malgré une petite désillusion à l’US Open, où il sera éliminé en quarts de finale par Nishikori, Andy Murray clôturera sa saison d’une bien belle manière, en remportant encore les Masters 1000 de Shanghai et de Paris-Bercy, avant de glaner son premier Masters. Il termine la meilleure saison de sa carrière au sommet : à la première place du classement ATP (profitant, il est vrai, des blessures de Rafael Nadal et de Roger Federer, tout deux forcés de mettre un terme prématurément à leur saison).
La suite nous la connaissons : elle est malheureuse. Comme le dit le dicton, « plus on s’élève et plus lourde sera la chute ». Autant dire qu’après sa fantastique saison 2016, la chute a dû être très rude pour le britannique ces deux dernières années. Comme en témoigne son émotion lors de la conférence de presse du 11 janvier dernier. Alors que Federer, Nadal et Djokovic ont tous les trois su revenir de blessure et reprendre à tour de rôle la première place mondiale depuis 2017, Andy Murray est quant à lui contraint de jeter l’éponge. Je vous parlais en préambule de l’article visionnaire de Martina Navratilova paru en 2005 dans
The Guardian. Cette dernière ne s’était pas contentée de prédire que le prodige britannique deviendrait un jour un tout grand de ce sport, elle avait également émis de sérieuses réserves quant à son physique. Elle ne s’est – encore une fois – pas trompée, malheureusement pour Andy Murray sur ce coup.
Big Four ? Big Three ? Big Five ?
Comme évoqué précédemment, le futur retrait de la compétition de l’écossais résonne comme un tremblement de terre pour les fans du tennis. Il nous rappelle que cette fantastique génération du Big Four n’est pas invincible, encore moins éternelle. Et c’est vrai que lorsqu’on voit les saisons 2017/2018 réalisées par Djokovic, Federer et Nadal, on aurait pu avoir tendance à l’oublier. C’est l’occasion, puisqu’elle va fatalement prendre fin d’ici peu, de revenir sur l’ère du Big Four et de questionner sa validité.
En effet, pour certains observateurs, il est réducteur de considérer que le tennis des quinze dernières années doive se résumer uniquement au quatuor Federer-Nadal-Djokovic-Murray. Ils rappellent que d’autres joueurs ont également remporté des Grands Chelems durant cette période, même si ces derniers se comptent sur les doigts de la main : Juan Martin Del Potro avec l’US Open 2009, Marin Cilic avec l’US Open 2014, et Stan Wawrinka par trois fois avec l’Open d’Australie 2014, Roland Garros 2015 et l’US Open 2016. Le vaudois justement a parfois fait débattre les statisticiens sur l’éventuelle existence d’un Big Five. En effet, 3 titres en Grand Chelem c’est le même total qu’Andy Murray, le quatrième membre du quatuor de légende. Néanmoins, il serait exagéré de comparer la carrière de Stanislas Wawrinka, aussi extraordinaire et magnifique soit elle, à celle d’Andy Murray. Même si l’écossais a pris du temps avant de remporter son premier Grand Chelem en 2012, le vaudois en a pris encore plus puisqu’il remporte son premier Grand Chelem en 2014, à l’âge de 28 ans ! De plus, Murray a tout de même été présent dans le top 10 durant les quelques années qui ont précédé son premier sacre en Grand Chelem, ce qui n’est pas le cas du vaudois. En termes de titres remportés, bien qu’ils soient tous les deux à trois Grands Chelems, toujours est-il que Wawrinka n’a remporté « que » 16 titres sur le circuit, contre 45 pour le britannique. Enfin, Andy Murray a tout de même, rappelons-le, été numéro un mondial à un moment de sa carrière, tandis que Stan Wawrinka n’est jamais monté plus haut que la dernière marche du podium. L’expression « Big Five » paraît donc hors de propos, aussi séduisante puisse-t-elle paraître à un observateur helvétique.
Puisque nous avons été très sévères dans la comparaison entre le numéro 2 suisse et l’écossais, il convient d’être également sévères dans la comparaison entre Andy Murray et les trois autres membres du légendaire quatuor. Effectivement, l’écossais l’avouait lui-même après sa première victoire en Grand Chelem en 2012, si on compare les carrières de Federer, de Nadal et de Djokovic avec la sienne, on pourrait croire à un fossé. Même si l’écossais a ajouté deux titres majeurs à son palmarès – et une médaille d’or olympique – depuis, on est encore loin des respectivement 20, 17 et 15 titres en Grand Chelem des trois légendes. Certains observateurs en sont donc arrivés à se questionner sur une redéfinition du « Big Four » en « Big Three », considérant que Murray n’avait pas un palmarès comparable à celui du Maître, d’El Matador ainsi que du Djoker. Force est de constater qu’ils n’ont pas tort, les statistiques et les chiffres étant des faits incontestables, peu importe l’admiration et l’affection que l’on peut porter au britannique.
Il n’en reste pas moins qu’Andy Murray a de sérieux arguments statistiques à faire valoir, notamment ses quelques records. Les plus importants sont surement le fait qu’il soit l’unique tennisman double médaillé d’or olympique en simple de l’histoire, ainsi que le seul tennisman à avoir réussi à remporter un Grand Chelem, un Masters 1000, les Jeux Olympiques, ainsi que le Masters durant une même année (en 2016). Tous ces éléments cumulés m’inspirent le constat suivant : s’il n’est pas réaliste de considérer Stan Wawrinka comme l’égal d’Andy Murray et donc de l’intégrer à un « Big Five », il n’est pas totalement réaliste non plus de considérer l’écossais comme l’égal de la triplette magique Federer-Nadal-Djokovic dans un « Big Four ». L’expression la plus adaptée est peut-être celle du statisticien Nate Silver qui définit le groupe comme étant un « Big Three and a Half », soit un « top 3 et demi », manière d’inclure la formidable carrière de l’écossais dans le groupe sans pour autant la considérer équivalente à celle des trois icônes du tennis que sont le Suisse, l’Espagnol et le Serbe. Mais si Murray n’est qu’une « demi-légende », il est avant tout un énormissime champion de notre sport à qui il convient de tirer son chapeau pour sa grande carrière.
Hats Off Andy.
Grégory Cossy
Etudiant en Relations Internationales à l'Université de Genève (SUI)